COMME UNE OMBRE (KURT)

Je vois des formes sur le plafond de ma chambre. Je le regarde depuis trop longtemps sans savoir bouger. A chaque effort, je sens mon cœur qui craque. Le mécanisme est rouillé, il a l'air d'en avoir soixante ans alors qu'il n'a que la moitié. C'est l'amour qui l'a détraqué.
On dit que c'est important, l'amour, pour l'entretien d'un cœur. Moi j'en savais rien, je ne sais pas comment ça fonctionne un cœur. Sûrement pas comme un avion. Non, les avions je les connais par cœur. Mais ce muscle si puissant et si fragile à l'intérieur de ma poitrine, je ne le connais pas. On m'a dit que l'amour, c'était bien pour l'entretien, c'est tout. Il suffisait d'un oui, d'une bague au doigt. Tout partager en deux. Le clan. L'avion. Les repas. L'argent. Le corps. Les pensées. Mais le cœur ? Non, le cœur, non. Il faut tout donner. Alors je lui ai offert, mon cœur. Il l'a pourri. Il est en train de s'effriter entre ses mains. Il redevient poussière entre ses doigts, ses doigts sales. Pas sales d'avoir trop bricolé. Sales d'avoir trop détruit, d'avoir trop tout cassé.
Je vois des formes sur le plafond de notre chambre. Je te vois toi, te salir au nom de tous. Toi, prendre des décisions seul, des décisions qui nous tâchent de sang. Toi, tuer les Thorondors. Parce qu'en ayant fait ça Kurt, tu les as tué. J'ai le cœur qui brûle, qui s'échauffe. Plus de liquide de refroidissement. Le calme laisse place à la tempête. J'ai arrêté de regarder le plafond pour avoir le courage de me lever. De marcher jusqu'à toi. A chaque pas que je fais c'est un morceau de mon cœur qui se casse la gueule, qui me remonte dans la gorge. Je te trouve dans l'atelier, près de notre avion. Près de tout ce que j'ai. Puisque toi, je ne sais plus. Quand je te regarde, je ne te vois plus. C'est pas mon mari. C'est plus mon amant. Un inconnu sanglant. J'ai le cœur au bord des lèvres maintenant, prêt à être vomi tout entier.
Dis moi que c'était juste des conneries Kurt.
Non il n'y aura pas de larmes comme dans les films en noir et blanc qu'on regardait sur le poste de télévision. Non, y'aura pas de bras qui se serrent, une dispute oubliée dans des draps souillés. Dans ma voix il n'y a que la colère qui gronde, dans mes yeux il n'y a que l'horreur de toi. Le regret. De ne pas l'avoir choisi lui.
Comment t'as pu oser ?